lundi 4 juillet 2011

Je pense, donc je suis… Je souffre, donc je vis…

Je pense, donc je suis, est de René Descartes. Je souffre, donc je vis… Pourrait être de Freud… Bien que je ne sois pas en mesure de vous affirmer qu’il l’ait dit, mais peu importe. Le fait est que, c’est parce que je souffre que je sais que je suis en vie.

Savez-vous quels sont les mots qu’un psychothérapeute entend le plus souvent ? "J’ai mal. Je souffre". Des mots difficiles à entendre car lourdement chargés émotionnellement. Mais des mots encore plus difficiles à prononcer quand on les ressent. Car il n’est pas simple, aujourd’hui, de prononcer des mots si contraires à ce que notre société moderne véhicule.

D’ailleurs, beaucoup, par souci de ne pas aller à contre courant, choisissent de taire cette souffrance psychique, d’étouffer cette douleur lancinante et pénible qui nous interroge sur le sens de notre vie et nous oblige à repenser notre vie, ou du moins, le sens qu’on lui donne…

Car, la douleur, je ne l’apprends à personne, est là, tapis, silencieuse. "J’ai mal". Des mots souvent réprimés, presque indécents, qu’on prononce dans des cabinets privés de psychothérapeutes dans le meilleur des cas… sur un pont, au bord du précipice, dans le pire…

Rarement chez un médecin… Un médecin soigne les blessures physiques mais quand il s’agit de douleurs psychiques, ça se complique… "Et si le médecin me prenait pour un fou ou une folle… Et pas dans le meilleur du terme en plus… (Voir article : Comment savoir si je suis fou… ou folle…)  Heureusement, néanmoins, il y a des antidépresseurs et des anxiolytiques, n’est-ce pas ? Après tout, la dépression est une maladie reconnue… Une maladie. Le mot est presque rassurant. Une maladie, ça se soigne… Mais la souffrance… Si je dis que j’ai mal, qu’est-ce que ça signifie ? Le médecin va-t-il pouvoir me comprendre… Un psy le peut-il plus ? "

"J’ai mal". Trois petits mots. Si lourds de sens… Mais quel sens ?

"Partout sur les pages de magasines, dans les pubs, dans les discours de la société, la souffrance, c’est pour ceux qui sont en guerre, ceux qui sont blessés, agressés, violés, accidentés… Mais si nous ne subissons rien de tout ça, peut-on dire que la souffrance que nous éprouvons est une vraie souffrance ? Ne risque-t-on pas de se moquer de moi ? Va-t-on me comprendre ? Et puis, ça fait si mal… Qui à envie de souffrir ? Suis-je masochiste d’éprouver cette souffrance que je ne suis pas censé éprouver ? "

Beaucoup de questions, n’est-ce pas ?  Généralement un psychothérapeute les entend, toutes. Quand le patient décide qu’il n’en peut plus, quand le mal est si profond que sa seule autre alternative est de penser qu’il devrait en finir avec la vie… Pas vraiment pour mourir, mais pour ne plus avoir mal… Combien de fois ai-je entendu ces mots violents : « Je ne sais pas pourquoi je continue. Je n’en peux plus de souffrir. La vie ne vaut plus la peine d’être vécue… ».
Ces phrases sont terrifiantes, effrayantes… Mais réelles. Au même titre que la douleur psychique ressentie… et souvent sous estimée.

Nous vivons dans un monde cruel qui, paradoxalement, a du mal à gérer la souffrance. Considérée comme inutile, une perte de temps, la souffrance est souvent perçue comme un accident de parcours qu’il faut impérativement dépasser, soigner rapidement.

Dans un précédent article, j’explique pourquoi le stress est le mal du siècle. On robotise les gens. On les programme comme des machines. On les utilise, les consomme, avant de les laisser, cassés, au bord de la route de la vie sans savoir quoi en faire ni comment s’en dépêtrer… L’homme du XXI ème siècle n’est plus que le maillon d’une chaîne à la solde de l’économie de marché. Bien de consommation au même titre que tout autre marchandise. On lui retire son humanité en lui retirant un droit fondamental : celui de souffrir pour dire qu’il existe.

Parce que vivre, c’est forcément souffrir !

Aujourd’hui, notre société est parvenue à faire culpabiliser les individus en souffrances, les faisant passer pour des parias, des malades. Personne n’ose plus pleurer en public… Les leitmotivs sont, si on tombe, de se relever, de garder la tête haute, et de ne surtout pas montrer aux autres qu’on a mal… Une aberration…

Il y a peu, dans une série télé quelconque, l’un des personnages disait très justement qu’il ne voulait pas souffrir… Son interlocuteur lui répondait qu'"avoir mal rend adulte". J’ajouterai, qu’avoir mal rappelle qu’on est vivant.

Maintenir l’illusion que nous pouvons vivre sans souffrance est aussi absurde que de croire qu’on peut vivre sans oxygène. Il y a des réalités qu’on ne peut et ne doit pas nier. C’est pourtant ce que fait notre société. Souvent.
Mais c’est injuste.

Il faut savoir que la souffrance est le présupposé d’une vie enrichissante. Elle permet, par opposition et contraste, de mieux profiter de la vie et de ce qu’elle vous apporte de bon, beau et merveilleux. Elle donne de la valeur à ce qu’on a, car elle nous rappelle qu’on peut le perdre à tout moment. La vie, le bonheur et donc la souffrance sont éphémères. Le bonheur n’a de sens que parce qu’on peut souffrir.

Alors pourquoi refuser et nier cette aptitude à la souffrance au point de l’amplifier artificiellement ? Toutes les personnes qui, à un moment ou un autre, ne parviennent plus à faire semblant et nient leurs souffrances, finissent, fatalement, par se croire fous et anormaux, augmentant l’intensité de leurs souffrances à l’origine de leur mal être. Pire. Pourquoi et comment peut-on à ce point, refuser et nier l’utilité d’un processus aussi simple et constructeur, au nom d’une idéologie impossible à atteindre et ressentir : le bonheur parfait et constant ? Le bien être permanent ?

Puisque souffrir fait partie de la vie et qu’au même titre que la douleur physique, la douleur psychique à un sens, car elle en a toujours un, il suffit "juste" de le trouver. L’être humain n’est pas intrinsèquement masochiste. Il ne souffre pas sans raison.

Dès l’instant où l’on naît, jusqu’à notre dernier souffle, la douleur physique et la souffrance psychique sont là pour une raison majeur : Nous avertir d’un danger.

Lorsqu’on se blesse physiquement, comme une coupure avec un couteau, la douleur, activée par notre système nerveux central, via nos récepteurs sensoriels, va nous donner plusieurs informations. La première qu’un couteau, ça coupe ! La deuxième, qu’une coupure peut être dangereuse : hémorragie, infection. Et donc, troisièmement, qu’il faut être prudent avec les couteaux et les manipuler avec précautions !

Si ce que je viens de vous écrire vous semble une évidence, ce que je ne nie pas, demandez-vous néanmoins pourquoi, avant de devenir prudent, vous êtes-vous bel et bien coupés à un moment ou l’autre de votre vie ? Tout simplement parce que, jusqu’à ce que vous fassiez l’expérience de la douleur, vous n’estimiez pas qu’il y avait danger ! La douleur vous a appris que si et vous a permis d’apprendre à faire attention et à adapter votre comportement pour ne plus faire de geste dangereux avec un couteau…

La souffrance psychique a le même rôle. Elle n’apparaît que pour vous passer un message : celui qu’il y a danger. Le problème est que la souffrance psychique contrairement à la douleur liée à une blessure physique, ne présente ni traces ni saignements. Mais faut-il pour autant l’ignorer ?

La souffrance psychique s’est, depuis plusieurs années, médicalisée. A tord ou à raison, à vous de juger. Pour les cas extrêmes, on sait combien les antidépresseurs et anxiolytiques ont été efficaces et ont sauvé des vies… Mais le problème est qu’on médicalise trop souvent et systématiquement des souffrances qui n’ont rien de médicales. Qu’au lieu d’étouffer cette souffrance, il serait bon de la réhabiliter comme normale et surtout que le corps médical cesse de la mépriser et de la négliger pour mieux l’écouter et lui donner un sens. Tout comme le font les psychothérapeutes.

Malheureusement, les chances de voir l’approche de la souffrance psychique changer, ne sont pas près d’arriver. N’oublions pas que la médecine génère de l’argent, pas la psychothérapie et que nous vivons dans une culture de la rentabilité économique. L’économie de marché. (Voir article : Et si le bonheur tenait seulement à quelques larmes...)

J’aimerais terminer cet article par un rappel simple et élémentaire.

L’être humain grandit, se construit, se développe non pas à cause mais grâce à ses souffrances. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort, n’est-ce pas ? La souffrance naît de la perte, perte nécessaire et obligatoire dès le jour de notre naissance. Et c’est parce que nous perdons, renonçons, volontairement ou pas, au confort du ventre de notre mère, au confort sécurisant de la maison pour aller à l’école et apprendre, à la sécurité affective de la famille pour aller travailler et créer sa propre famille que paradoxalement, nous avançons et construisons notre vie. Nous participons ainsi à la pérennisation de l’espèce, parce que, ne nous y trompons pas, là est le but ultime de notre vie.

La perte est à l’origine de la souffrance et participe au mécanisme de développement de l’espèce humaine. De la perte, naît le manque, du manque naît la frustration, de la frustration naît la souffrance et de la résolution de la souffrance, car l’être humain n’est pas masochiste, rappelons-le, naît la vie. La boucle est bouclée. Mieux, c’est souvent la sublimation de la souffrance qui est à l’origine de la créativité et de l’inventivité…

Alors plutôt que nier et refuser cette souffrance, posez-vous la question. Qu’est-ce qui aliment cette souffrance ? Que veut-elle vous dire ? Que vous apprend-elle de vous, de votre vie, de votre mode de vie ? Et comment lui donner un sens pour trouver le moyen de transcender cette souffrance en un moment de vie qui ne sera plus vécu comme destructeur mais comme constructeur.

Vivre fait mal… Mais n’est-ce pas la preuve qu’on est en vie, et que, peut-être, on peut vivre mieux, du moins autrement? La souffrance nous parle. Écoutons-là !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire