dimanche 26 juin 2011

Comment savoir si je suis fou… ou folle…

Diffusion lundi 27 juin 2011
 à 20h40 sur Arte
Suis-je fou ? Suis-je folle ? Qui ne s’est jamais posé la question à un moment ou un autre de sa vie ?
En fait, la réponse est contenue dans la question. "Le moment ou un autre" démontre que vous avez du recul sur vous-même, recul qui vous pousse à vous interroger et souligne une certaine lucidité.

Un fou, véritablement fou, ne s’interroge pas. Il ne doute pas de son état psychique.

S’interroger est donc la meilleure façon de se rassurer.

Il n’empêche…. Puisque s’interroger, c’est se rassurer et donc démontrer qu’on n’est pas fou, pourquoi se poser la question ? C’est fou, non ?

Mais au fond, est-ce qu’il s’agit bien de folie ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que la folie ?

Il suffit d’un fait divers sordide pour conforter toute une population qu’elle partage la même définition de la folie. Comment juger autrement le meurtre de deux infirmières dans un pavillon psychiatrique de Pau, par un jeune schizophrène ? Parce qu’il était schizophrène, parce qu’il entendait des voix, parce qu’il a tué à cause de ces voix, et même décapité l’une des infirmière, c’est que ce jeune était "fou", son acte : "une folie".

Nous employons tous le mot de "fou", à tord ou à raison, croyant que chacun d’entre nous partage la même définition, sans s’attarder sur le fait que c’est rarement le cas.
Le problème est que la folie n’est pas UNE, elle est multiple, avec des degrés variables. Alors comment savoir qui est fou de qui ne l’est pas ?

Et c’est justement là le souci. Ce flou latent qui brusquement nous interroge… Et si, bien que nous n’entendions ni voix ni n’ayons d’hallucinations visuelles, que nous ne commettions pas de meurtre, nous étions, malgré tout, fous ou folles ?

Les hôpitaux psychiatriques sont remplis de "fous". Tous ne sont pas schizophrènes. D’ailleurs, tous les schizophrènes ne sont pas enfermés. Alors comment savoir, à quel moment, une personne, en apparence "normale", bascule ? Sommes-nous tous susceptibles de "basculer" dans la folie ? Et puis quel type de folie ? Est-ce une si mauvaise chose d’être fou ?

Beaucoup de questions et si peu de réponses. Laissez-moi vous aider à y voir plus clair…

Il faut savoir que pour les psychiatres (formés 4 ans en médecine générale avant de se spécialiser en psychiatrie - ce sont des médecins) et les psychologues (formés à l’université, et diplômés d’un master 2 de psychopathologie clinique), le concept de folie n’existe pas. Surprenant, n’est-ce pas ? Pourtant vrai.

Pour les psychiatres, un "fou" est avant tout un malade avec des symptômes qu’un traitement adapté soigne à défaut de guérir surtout s’il est diagnostiqué psychotique. (Les mots vous semblent barbares ? Si vous saviez… Il y a pire, mais promis, je vais essayer de vous épargner !). Son rôle ? Recenser les symptômes et prescrire les médicaments qui les atténueront, voire, les feront disparaître. Du moins, tant que le patient prendra son traitement.

Pour les psychologues, le patient est un malade avec des symptômes qui sont la résultante, la conséquence, d’une cause. Son but ? Remonter à l’origine afin de tenter de libérer les patients de leurs symptômes ou du moins d’une partie de ces symptômes. Il faut reconnaître que la mission est quasi impossible dans les cas de patients diagnostiqués psychotiques, seuls les médicaments ont une chance d’agir efficacement, mais tous les "fous" ne sont pas psychotiques.

Les deux métiers sont complémentaires et font appel à deux répertoires : le DSM IV pour les Etats-Unis et le CIM 10 pour l’Europe, qui décrivent et définissent toutes les maladies mentales rencontrées à ce jour, pour diagnostiquer les patients et donc les soigner en conséquence.

Vous aurez remarqué que même chez les professionnels de la psychiatrie et de la psychologie ont du mal à s’accorder sur un répertoire unique. Tout simplement parce que les critères symptomatiques, dans les deux cas, répondent à une approche théorique différente. Pas simple de se mettre d’accord sur la définition des différentes formes de folie, n’est-ce pas ? Il faut tenir compte également des avancées scientifiques et des outils de travail comme les IRMs, scanners et recherches génétiques pour régulièrement permettre de corriger et d’affiner ces deux répertoires.

Pourtant ces évolutions théoriques et scientifiques ont radicalement fait évoluer notre approche de la "folie" et permis de la traiter différemment. Un exemple simple. Jusqu’aux années 50, 60 on "soignait" les patients violents ou très agressifs ou considérés comme déviants (l’homosexualité était considérée comme une maladie mentale conduisant à une déviance sexuelle jusqu’à il y a peu. Voir article : pourquoi il est absurde d’avoir peur de l’homosexualité .) par la lobotomie. On opérait les patients en leur retirant une partie du lobe frontal du cerveau, siège des émotions et de la volonté. Résultat, on rendait les patients aussi vivants que des légumes… Pas top, vous en conviendrez, mais ça ne choquait personne, en témoigne l’excellent film "Vol au dessus d’un nid de coucou" avec Jack Nicholson, incroyable dans ce rôle de délinquant qui choisit l’internement à la place de la prison, croyant que son enfermement serait plus facile. Grossière erreur qu’il assumera d’une manière étonnante et se conclura d’une triste façon.

Avec les années 70,80, l’arrivée des scanners et autres appareils de recherches et d’analyses ainsi que les grandes avancées de l’industrie pharmaceutique, ont radicalement modifié la donne… Pour un résultat parfois assez comparable. La camisole chimique devenait plus pointue et "efficace". Les benzodiazépines, les IMAO, puis les ISRS, sont les trois générations de psychotropes qui ont révolutionné la psychiatrie moderne. Ils sont de plus en plus pointus, limitent de plus en plus les effets de dépendances et les effets secondaires. Néanmoins dangereux, ils sont à utiliser avec beaucoup de précautions. Rien n’est parfait.
Parallèlement à cette évolution, beaucoup de critères psychiatriques devenaient obsolètes, comme avec l’homosexualité qui sortait, enfin, du registre des maladies mentales.

N’en reste pas moins que les hôpitaux continuent de faire chambres combles. Les pathologies sont les mêmes que par le passé mais revisitées dans l’approche et le traitement, en fonction des époques.

Saviez-vous que les unités psychiatriques fermées, sur le modèle de l’asile psychiatrique dans le film "Vol au dessus d’un nid de coucou" ne représente qu’une minorité des soins psychiatriques ? Que les patients schizophrènes ne sont pas tous dangereux ? Et que peu d’entre eux sont internés mais suivis en externe ?

Alors que signifie donc d’être fou aujourd’hui ?  Qui hospitalisons-nous ? Qui sont les "nouveaux fous" ?

Diffusion lundi 27 juin 2011
à 22h55 sur France 3
Pour répondre à cette question, puisque la psychiatrie et la psychologie n’apportent qu’une partie des réponses, il faut chercher ailleurs. Et cet ailleurs n’est pas si loin. En fait, le concept de folie est avant tout un concept social. Un autre très beau film illustre très bien cette vérité. Il s’agît de "Birdy" joué par Matthew Modine. Un jeune homme rentre de la guerre du Vietnam et découvre que son meilleur ami est interné en état catatonique. Pour essayer de le sortir de cet état, le jeune soldat, Nicolas Cage, revisite leur adolescence commune et leurs quatre-cent coups. En dehors du côté poétique de l’œuvre, ce film traite bien de folie, mais pas celle qu’on imagine. Il s’agit de folie sociale, non pas psychiatrique ou psychologique, même si tout est fait pour nous le laisser croire, jusqu’à la fin. Mais je n’en dirai pas plus.

C’est bien la société dans son ensemble qui édicte les règles et donc les diverses définitions de la folie.

Aujourd’hui, l’échelle de valeur permettant d’établir un diagnostic de "folie", est une échelle de dangerosité. Est automatiquement pris en charge médicalement, les cas les plus extrêmes d’individus ayant un comportement inadapté, excessif, agressif pouvant entraîner un danger de mort pour lui-même ou pour les autres. Ce peut être un patient schizophrène en crise, mais aussi un individu ayant fait une tentative de suicide, ou un individu ayant agressé, sans raison apparente et sans être sous emprise de produits toxicologiques, un tiers. Dans tous les cas, le patients peut-être psychotique, névrosé, ou pervers. Il n’y a pas UNE catégorie de structures psychiques systématiques. Personne ne peut s’estimer à l’abri.

Le moteur d’une hospitalisation est souvent un état de crise, de violence, suite à ce qu’on appelle une décompensation psychique, c'est-à-dire une rupture psychique avec la réalité. Cela peut arriver si un individu est schizophrène et pas soigné ou pas suivi. Généralement ce type de maladie se déclenche vers dix-huit, vingt ans avec une période de désocialisation, mais tous les schizophrènes ne sont pas ou ne vont pas forcément avoir de "crises".
Vient la catégorie des grands dépressifs, qui par fragilité psychique vont renoncer à la vie et tenter de se tuer.
L’origine de ces cas est souvent génétique, mais pas seulement. Nous sommes tous susceptibles de décompenser. Il suffit d’un accident de la vie, un traumatisme suite à un accident matériel, une agression, ou une maladie. Pas rassurant ?
En fait, l’origine d’une crise est très souvent multifactorielle, génétique, environnemental, social, familiale, physiologique et psychologique, ce qui limite le nombre de cas avérés.

Ceci est une version très simplifiée et même simpliste des divers cas possibles de "folies" reconnues et donc entraînant une hospitalisation. Mais tous les "fous" ne sont pas violents. Avant d’en arriver au cas extrême, vous vous êtes vous-mêmes posé la question. Suis-je fou ? Suis-je folle ? Cette question est-elle l’indicateur qu’il y a un risque ? Et si ce n’était pas vous qui étiez fou mais le monde ? Nous sommes en droit de nous poser la question, n’est-ce pas ?

Il faut comprendre que nous vivons à l’heure de la mondialisation, de la fabrication de masse. Aujourd’hui, on uniformise. Être Français, Anglais, Chinois, Argentin, Indien… N’a plus la même signification aujourd’hui, qu’hier. Il suffit de regarder les habitudes vestimentaires, alimentaires des gens dans le monde pour constater que tout le monde, à peu de chose près, suit la même mode vestimentaire et Mc Donald est partout ! Les différences culturelles disparaissent peu à peu. Dans le numéro 1044 spécial anniversaire du courrier international du 4 au 9 novembre 2010, "Avoir 20 ans en 2010" illustre très bien le phénomène. Nous sommes "humainement" et "socialement" mondialisés. Et Internet a accéléré le mouvement.

La mondialisation se veut idéologiquement égalitaire. Produire plus, réduire les coûts et les prix à la vente pour permettre au plus grand nombre de consommer. Mais c’est loin d’être une idéologie égalitaire et humaine. C’est une idéologie de marché, de l’économie de marché. Néanmoins le processus est en marche et rien ne semble pouvoir l’arrêter, même si justement, il accentue l’écart qui existe entre envies et besoins des consommateurs. On promet une société de loisirs à tous, au mépris des besoins les plus élémentaires. Car il y a un prix à payer pour vivre dans cette société de loisirs. Il faut en suivre et respecter les règles, mêmes les plus absurdes, du moment que cela rapporte de l’argent. Au final, la société occidentale, mais le processus contamine tous les pays du monde, se retrouve aliénée dans un système inhumain, basé sur la rentabilité. L’homme et sa capacité de travail son utilisé, consommé comme des machines. L’économie l’emporte sur l’humain. Le mot  "objectif" à atteindre fait la loi.
Mais le rythme d’évolution de l’économie n’est pas celui de l’homme. Il n’est pas surprenant de constater que le mal du siècle est le stress et par voie de conséquence, démultiplie les cas de dépressions.

En analysant notre mode de vie, nous sommes en droit de nous interroger sur notre propre état mental. Quand on se sent en décalage entre ce qu’on exige de nous, comme de vivre à cent à l’heure, faire toujours plus en moins de temps possible, aller toujours plus loin, posséder toujours plus et ce dont nous avons réellement besoin : vivre bien, se sentir bien. Il y a de quoi en perdre la raison.

D’ailleurs, cette nouvelle "idéologie" se caractérise par une déshumanisation, une robotisation des gens. On choisit les antidépresseurs à une vraie pause, une vraie remise en question. On continue d’accepter l’impensable, l’interdiction d’avoir et d’exprimer des émotions (Voir article : Et si le bonheur tenait seulement à quelques larmes…). On se moque des besoins physiques, physiologiques et psychologiques de l’homme en le convainquant qu’il doit continuer de souffrir pour posséder toujours plus… Mais, cela sert à quoi ? Cela vous rend-il plus heureux ?

Bizarrement, je vais vous répondre oui. Non pas parce que c’est la vérité, mais c’est parce que tous y croient, du moins la majorité.

Pas étonnant, dans ces conditions, face à tant d’aberrations, que certains d’entre nous aient la sensation d’être fous, surtout si vous n’êtes pas d’un tempérament suiveur. La société moderne est folle, et par conséquent, vous rend "fou".

Au vue de cette nouvelle philosophie de vie, on peut facilement définir ce qui sera jugé comme "fou" et essayer d’obtenir enfin une réponse à la question : Suis-je fou ou folle ?

Sera jugé "fou" tout comportement jugé inutile et inadapté au bon fonctionnement de cette société basée sur l’économie de marché. Ce qui signifie qu’il serait inapproprié et donc "fou" toutes manifestations d’émotions, de réactions, de comportements ou d’attitudes, exagérés, intempestifs et donc considérés comme hors normes et donc anticonventionnels. Pour résumer, toutes manifestations d’originalités et d’émotions seront aussitôt assimilées à la manifestation de la "folie".

Maintenant que vous savez comment repérer la "folie", à vous de voir si oui ou non vous êtes fou ou folle.

Le concept de folie, nous l’avons vu est très relatif et évolutif.

Je terminerai cet article sur un étonnant constat, plutôt rassurant pour tous ceux qui réalisent qu’ils sont peut-être effectivement "fous" selon la définition citée ci-dessus.

Au salon du Bourget, cette semaine, Airbus a vendu pour soixante douze milliards d’avion. Il est intéressant de constater que la folie des uns fait le bonheur des autres. Car, je vous le rappelle, c’est grâce à la folie d’un homme (Ils étaient plusieurs mais je n’en citerai qu’un.) Louis BLERIOT qui traversa la Manche dans un avion en 1909, que l’aviation connaît une telle réussite.
Dois-je citer d’autres "fous" comme Einstein, dans un tout autre domaine, ou bien Copernic qui osa affirmer envers et contre tous que ce n’était pas le soleil qui tournait autour de la Terre mais le contraire, et Galilée, Newton… Dois-je continuer ? Tous "fous" en leur temps, qui oserait le dire aujourd’hui… Quoique Einstein à garder un rien de sa réputation de fou… En même temps, voyez la photo...

La frontière est mince entre folie et génie, ne l’oublions pas. Alors à la question. Êtes-vous fou, ou folle ? Peut-être, peut-être pas…A partir du moment où l’on se sent bien, ou il n’est pas nécessaire de passer par la case hospitalisation, et même, mieux, si envers et contre tous, vous pouvez vous passer d’anti-dépresseurs… Peut-on, doit-on dire de vous que vous êtes fou ou folle ?

Pourquoi s’estimer fou simplement parce que vous ne vous reconnaissez pas dans un système absurde ? Et si votre "folie" n’était que la manifestation d’une autre vérité, le besoin de vous émanciper d’un système que vous percevez comme aliénant ?


Et si c’était vous qui étiez normal parmi des fous ? Je crois qu’"Hamlet" de Shakespeare approuverait cette conclusion. Non ?

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